Sergio Rossi
Le 5 juin prochain, le peuple suisse aura voté pour décider du sort de l’initiative populaire fédérale «Pour un revenu de base inconditionnel». Il n’est pas difficile de prédire le résultat de ce vote, au vu de la nature du débat politique et dans la société civile qui l’a précédé ces mois-ci.
Or, au-delà du refus populaire que cette initiative va essuyer, a fortiori considérant qu’il lui faudrait la double majorité (peuple et cantons) afin de modifier la Constitution fédérale suisse pour y introduire le (nouvel) article 110a établissant le principe d’un revenu de base inconditionnel, il faut reconnaître que cette initiative a le mérite de lancer un débat qui va s’avérer nécessaire au fur et à mesure que le chômage augmentera à travers la Suisse, suite aux politiques économiques néolibérales et à la robotisation induite par la «quatrième révolution industrielle» qui est censée se diffuser à l’ensemble de l’économie ces prochaines années.
Il est désormais indubitable que, faute d’une «contre-révolution» dans les sciences économiques, qui rétablirait la primauté analytique d’une approche véritablement macroéconomique (ou «systémique» selon le langage contemporain) aux questions touchant l’ensemble des agents économiques, il sera impossible d’assurer une place de travail à toute personne voulant et pouvant travailler – que ce soit en Suisse ou dans n’importe quel autre pays dans le reste du monde.
Par ailleurs, en ce qui concerne la Suisse (mais l’analyse vaut bien sûr pour beaucoup d’autres nations de l’économie mondiale), il ne fait pas de doute que le système (de plus en plus compliqué) des assurances sociales n’est pas viable à long terme. Compte tenu du vieillissement de la population, ainsi que de la mobilité de celle-ci, le financement de ce système pose problème – au-delà des retouches cosmétiques que la classe politique suisse cherche à y apporter depuis belle lurette. Le revenu de base inconditionnel permet de faire table rase de ces divers problèmes intriqués en ce qui concerne la possibilité pour «l’ensemble de la population de mener une existence digne et de participer à la vie publique», comme l’indique l’alinéa 2 de l’article constitutionnel (110a) que ladite initiative vise à introduire dans la Constitution fédérale de la Confédération suisse dont l’article 12, en l’état, établit déjà le principe fondamental du revenu inconditionnel.
Même s’il est impossible de prévoir (ne serait-ce que grossièrement) le nombre de personnes qui seront évincées du marché du travail suite à ce qu’on a désormais pris l’habitude d’appeler la «quatrième révolution industrielle», il est indubitable que l’automatisation, l’informatisation et la robotisation de bien des activités économiques vont faire augmenter le nombre des personnes au chômage ainsi que la durée de la période durant laquelle celles-ci auront besoin d’un soutien financier afin de ne pas sombrer dans la pauvreté et la déchéance.
Au lieu de leur faire endurer l’humiliation personnelle et la stigmatisation sociale découlant de l’aide sociale indispensable pour leur survie et qui implique un carcan bureaucratique de plus en plus lourd afin aussi que les comportements illicites soient sanctionnés correctement à ce sujet, le revenu de base inconditionnel évite tout cela, mettant tout le monde sur un pied d’égalité (réalisant le principe de justice distributive dont le philosophe Thomas Paine s’était déjà inspiré au XVIII siècle proposant une «allocation universelle» d’une partie des produits de l’agriculture).
En fait, le vrai enjeu de l’initiative populaire fédérale pour un revenu de base inconditionnel est double. D’une part, il s’agit d’en déterminer les modalités de financement. D’autre part, il faut en fixer le montant ainsi que la formule pour calculer celui-ci tout en l’adaptant à l’évolution des conditions socio-économiques au sein du pays concerné.
Le financement du revenu de base inconditionnel peut être assuré par différentes sources. Tout d’abord, il est évident que les montants qui à présent financent l’aide sociale vont être alloués à la caisse du revenu de base inconditionnel. Ensuite, une partie des montants qui à présent sont déboursés par l’assurance-chômage, l’assurance-invalidité ou par l’assurance-vieillesse et survivants va aussi confluer dans cette caisse. Par ailleurs, au lieu de distribuer le revenu produit d’abord aux facteurs de cette production, les entreprises vont en prélever une partie pour la verser dans ladite caisse, ce qui signifie concrètement que les salaires des travailleurs seront amputés dans la mesure du revenu de base que ceux-ci recevront (laissant dès lors inchangée leur capacité d’achat). Il ne resterait plus qu’à trouver une vingtaine de milliards de francs, qu’il serait tant éthiquement juste que techniquement possible de prélever à travers une taxe sur les transactions financières dont le taux serait très faible et tout à fait insignifiant pour les acteurs de l’économie «réelle».
Le niveau du revenu de base inconditionnel et son évolution à travers le temps ne posent, eux aussi, aucun problème éthique ou technique. Comme le montrent bien des exemples pratiques à travers le monde, un tel revenu, s’il est bien calibré, n’induit pas les gens à flâner durant le temps que ceux-ci pourraient utiliser pour travailler. Au contraire, ils libèrent leurs forces créatives et s’adonnent à des activités bien utiles à l’ensemble de la société (par exemple, le soin des personnes âgées ou la garde de leurs propres enfants), contribuant d’une manière ou d’une autre à la formation de richesse dans l’ensemble de l’économie. Aussi, un revenu de base inconditionnel contribue-t-il à augmenter le niveau de formation des jeunes, qui pourront étudier mieux et davantage car ils n’auront plus besoin de travailler pour financer leurs études ou leurs propres loisirs.
On l’aura compris, le revenu de base inconditionnel comporte bien des avantages matériels pour l’ensemble de l’économie et de la société. Le nier relève du dogmatisme aveugle face aux changements profonds de la société contemporaine. Qui vivra verra!
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